Cannabis: de quoi parle-t-on?
Les endocannabinoïdes endogènes sont des neuromédiateurs naturels, dont on ignorait l’existence jusque dans les années 1990, capables de modifier l’activité des neurones. Ces derniers agissent sur des récepteurs cannabinoïdes impliqués dans les processus cognitifs comme l’apprentissage, la mémoire ou la coordination des mouvements complexes. Le cannabis est une substance psychoative dont les principes actifs principaux sont le tétrahydrocannabidiol (THC) et le cannabidiol (CBD):
- le tétrahydrocannabidiol (THC) est la substance psychoactive principale du cannabis: il stimule le système endocannabinoïde et se trouve à l’origine des effets hallucinogènes et psychotomimétiques;
- le cannabidiol (CBD) est un cannabinoïde qui se trouve en quantités moins importantes dans le cannabis. Les études ont montré qu’il possède une activité antipsychotique et qu’il aurait un effet plutôt protecteur sur le plan de la psychose.
Dans de nombreux pays, les indications du cannabis thérapeutique sont étendues; il est de plus en plus utilisé dans la prise en charge des douleurs chroniques. Certaines études montrent l’efficacité du cannabis dans le traitement des pathologies qui associent douleur et dépression ou anxiété, comme la sclérose en plaques. Une autre étude récente réalisée auprès d’enfants atteints d’une forme grave d’épilepsie (syndrome de Dravet) a montré une diminution de 50% du nombre de crises suite au traitement par le cannabidiol.
La distinction entre «cannabis thérapeutique» et «cannabis récréatif» est essentielle d’un point de vue médical. La confusion dans le discours et l’appréhension du cannabis ne permet pas, actuellement, de construire une législation cohérente et cependant nécessaire.
En Belgique: une prescription médicale très limitée
Des médicaments autorisés à base de cannabis peuvent être délivrés par le pharmacien sur prescription médicale. Le médicament Sativex®, à base des deux extraits de cannabis (THC et CBD), est indiqué dans le traitement des symptômes liés à une spasticité modérée à sévère due à une sclérose en plaques chez des patients adultes n’ayant pas suffisamment répondu à d’autres traitements antispastiques et chez qui une amélioration cliniquement significative de ces symptômes a été démontrée pendant un traitement initial. Le Sativex® est uniquement remboursé dans l’indication mentionnée cidessus et en cas de délivrance par le pharmacien hospitalier, sur prescription d’un neurologue.
Une situation complexe
Pour la première fois, l’Office européen des drogues et toxicomanies (EMCDDA) a publié un rapport sur le cannabis et les cannabinoïdes à usage médical. «Dans la plupart des pays, l’approvisionnement en produits et en préparations à base de cannabis et de cannabinoïdes à des fins médicales a évolué au fil du temps, souvent du fait de la demande des patients ou du développement des produits», analyse Alexis Goosdeel, directeur de l’EMCDDA. «Le rapport vise à apporter un regard objectif sur les éléments scientifiquement validés, les pratiques et l’expérience actuelles dans ce domaine qui connaît une évolution rapide, ainsi qu’à décrire la mosaïque complexe des approches adoptées dans l’UE et ailleurs. Enfin, le rapport souligne l’importance de développer un langage commun sur cette question, pour contribuer à construire un cadre d’appréciation et d’évaluation.»
Le rapport souligne le manque de savoirs sur les effets réels des produits aujourd’hui délivrés dans de nombreuses pharmacies du continent. Les chercheurs de l’EMCDDA ont compilé toutes les études connues sur leurs effets. Selon leurs conclusions, les preuves de ces effets sont – au mieux – «modérées» et – au pire – «faibles» ou «insuffisantes». Les cannabinoïdes utilisés dans le traitement des nausées (associées à une chimiothérapie) ont des effets jugés comme «faibles»: des antiémétiques plus récents seraient plus efficaces. Le rapport est tout aussi sévère pour le dronabinol, servant à stimuler l’appétit des malades du sida. Le rapport insiste sur l’importance de nouvelles études cliniques pour valider certaines indications.
Pas de joint médical
De nombreux pays, comme les États-Unis, le Canada, l’Allemagne, l’Espagne ou Israël, ont mis sur pied des cultures contrôlées de cannabis et autorisent sa délivrance sous forme de «plante» par le pharmacien. Il y a plusieurs espèces de plantes et certaines ont des effets spécifiques: certains principes actifs vont davantage agir sur la douleur, d’autres sur les nausées… Le cannabis fumé augmente le risque de cancer du poumon au même titre que le tabac. Les pays qui autorisent la délivrance médicale du cannabis recommandent donc de le consommer sous différentes formes non fumées, notamment en tisanes ou en utilisant des vaporisateurs. En Belgique, la délivrance sous forme de «plante» n’est pas autorisée. La possibilité de délivrer du cannabis médical au sein de l’officine (la plante elle-même comme préparation magistrale, pour vaporisation) est actuellement étudiée sur base d’un avis de la Commission des médicaments à usage humain (CMH). Vu la complexité du dossier, il est impossible de fixer un timing précis pour une décision à ce sujet, peut-on lire dans un communiqué de l’Agence des Médicaments et des Produits de Santé. Il est important de faire une analyse bénéfices/risques avant de mettre officiellement à disposition les modes de traitement. Les effets pharmacologiques présentent un risque au niveau de la fertilité et du développement du fœtus. Sur le plan toxicologique, c’est surtout l’effet addictif qui est important. Sur le plan clinique, il existe un risque de symptômes psychiatriques, de troubles cognitifs, de fatigue, d’hypotension, de tachycardie et de de toxicité hépatique. Le risque de cancer semble accru.
Soulager grâce au cannabis
Partisan de l’utilisation du cannabis à des fins médicinales sous prescription, le docteur Dominique Lossignol, chef de clinique et chef du service de l’unité aiguë de soins supportifs à l’Institut Bordet explique: «La Belgique a lancé, après la mise sur le marché du Sativex®, une vaste étude clinique pour étudier son efficacité en cas de nausées et vomissements provoqués par la chimiothérapie ou la radiothérapie, d’hypertension intraoculaire dans le glaucome, de mauvais état général des patients atteints de SIDA, de spasticité dans la sclérose en plaques et de douleurs chroniques. Le médicament a montré des effets significatifs dans l’atténuation de la douleur. Mais pour des raisons qui échappent complètement au bon sens, le cabinet de la Ministre de la Santé estime aujourd’hui que les données sont insuffisantes», déplore-t-il. «Cela dépossède malheureusement un grand nombre de malades d’un produit qui pourrait les aider.» «Le cannabis permet d’offrir un panel supplémentaire d’aide médicamenteuse à des personnes qui sont en fin de vie ou souffrent d’une maladie chronique grave. Le CBD a un effet légèrement anti-dépresseur, anxiolytique, apaisant. Le THC, dans une concentration limitée, augmente l’appétit et le sommeil chez les malades. Je déplore qu’actuellement des malades soient contraints de se mettre dans l’illégalité pour ne plus avoir mal. Je ne comprends pas pourquoi au 21e siècle nos patients ne pourraient pas bénéficier de ce traitement. In fine, on punit les gens deux fois. Ils ont mal et on ne leur permet pas de se soulager. D’un point de vue philosophique et moral, c’est très discutable.» «Cette complexité et ce flou juridique encouragent les patients qui souffrent à se fournir hors des circuits médicaux traditionnels, avec les dangers que cela présente: manque de contrôle, dosages inadéquats, effets indésirables…»
Réglementation cannabis en Belgique
Le cannabis est réglementé au niveau international comme un stupéfiant par la Convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 des Nations Unies. Cette convention prévoit que, si un pays veut autoriser la culture de cannabis, les autorités de ce pays doivent créer un bureau spécial qui détermine quelles surfaces peuvent être cultivées et par qui. La récolte doit être transférée à ce bureau qui règle ensuite la suite de la distribution. Jusqu’à présent, les autorités belges ne disposent pas d’un tel bureau du cannabis. La culture, y compris à des fins de recherche scientifique, n’est donc pas autorisée dans notre pays! L’importation de graines de cannabis, la culture d’un plant de cannabis pour son usage personnel ou les «cannabis social clubs» ne sont pas tolérés. Il s’agit de faits punissables sur base de la loi du 24 février 1921 relative au trafic des substances stupéfiantes et psychotropes. La consommation fait néanmoins l’objet d’une «faible priorité de la politique des poursuites» lorsque la quantité détenue est inférieure à 3 grammes ou à une seule plante cultivée et qu’elle ne s’accompagne pas de troubles à l’ordre public.
Un flou juridique qui autorise des CBD Shops
En vertu d’un nouveau traité européen, le cannabidiol (CBD) est autorisé à la vente à la condition que les produits commercialisés contiennent moins de 0,2% de THC! En Europe et chez nous fleurissent un peu partout des magasins d’un nouveau type: des CBD Shops. S’y vendent des produits dérivés du cannabis, à base de CBD. Ils sont généralement vendus sous le statut de complément alimentaire, sans en vanter les propriétés thérapeutiques afin de ne pas tomber sous le coup d’un exercice illégal de l’art médical ou de l’art pharmaceutique.
Phn Nathalie Evrard
Source: Pharma-Sphère