Les médicaments pris en cours de grossesse peuvent potentiellement affecter le déroulement normal de la grossesse et retentir sur le développement embryonnaire et fœtal. Les études cliniques et en particulier les essais thérapeutiques sont difficiles à conduire chez la femme enceinte, et les contraintes de l’évaluation du rapport bénéfices/risques d’un médicament sont différentes de celles qui caractérisent les essais cliniques conduits en dehors de la grossesse.
L’étude des Mutualités libres
Les Mutualités Libres ont publié une étude intitulée «Médicaments tératogènes ou foetotoxiques utilisés pendant la grossesse en Belgique», qui indique que, dans 83% des grossesses, les femmes prennent au moins un médicament remboursé. En analysant les données de plus de 60.000 de leurs affiliées, enceintes entre 2013 et 2016, les Mutualités socialistes ont également découvert qu’il s’agissait dans 7% des cas de médicaments potentiellement dangereux pour le fœtus ou susceptibles de provoquer des anomalies dans son développement. Outre les deux molécules particulièrement nocives pour le fœtus que sont l’acide valproïque et l’isotrétinoïne, cette étude met surtout en lumière une large utilisation des anti-inflammatoires non stéroïdiens, pourtant déconseillés ou contre-indiqués tout au long de la grossesse (y compris en voie topique).
Un rôle important pour le pharmacien
Face aux risques potentiellement très graves liés à la prise de médicaments inappropriés au cours de la grossesse, le pharmacien a un rôle majeur à jouer. Notamment, lors de la délivrance de médicaments non soumis à la prescription, et par exemple lors de la demande d’antalgique. Ainsi, dans leurs conclusions, les Mutualités libres recommandent notamment «d’éviter la banalisation des anti-inflammatoires non stéroïdiens (diclofénac, ibuprofène, aspirine…), en informant les femmes enceintes et celles qui ont un projet de grossesse et en sensibilisant les professionnels en contact avec elles. Si un traitement antalgique est nécessaire, la recommandation de première intention est le paracétamol, en rappelant la bonne posologie.»
Informer, sensibiliser
Notre rôle dépasse le cadre de l’automédication. Il faut sensibiliser les femmes quant aux risques potentiels liés à tous les médicaments pendant la grossesse et les inciter à signaler tout désir de grossesse ou grossesse lorsque la prise d’un médicament est proposée. Les Mutualités libres estiment d’ailleurs que «les différents acteurs de santé (médecins, accoucheuses, pharmaciens) présents autour de la femme enceinte ont un rôle d’information à jouer» et que ce rôle devrait être renforcé «surtout chez les femmes avec un statut social précaire/à faible revenu». L’AFMPS (Agence Fédérale des Produits de Santé) poursuit cet objectif, en réduisant l’utilisation de certaines molécules, en renforçant l’information via une campagne et un matériel proposé «Prendre un médicament en cas de désir d’enfant, de grossesse ou d’allaitement?» (voir l’affiche, la brochure d’information ou le site web de la campagne). Tout ce matériel peut être commandé via l’adresse mail [email protected]. Pour aider les femmes à s’y retrouver, une solution complémentaire à la sensibilisation pourrait être d’apposer un pictogramme de femme enceinte sur les boîtes de médicaments à risque, comme c’est déjà le cas en France.
À tout moment de la grossesse
La prudence doit être de mise à chaque stade de la grossesse: 3% des naissances présentent une anomalie congénitale, dont 5% sont liées à une exposition médicamenteuse. Le risque spécifique à chaque médicament devant évidemment être rapporté à la période à risque indiquée par le résumé des caractéristiques du produit (RCP). Seule la contreindication formelle, libellée comme telle par le RCP, interdit la prescription d’un médicament à une femme enceinte, car liée à un risque avéré. Lorsque le RCP déconseille l’utilisation au regard de données cliniques, le traitement ne doit pas être brutalement arrêté en cas de grossesse mais doit être évalué, adapté et éventuellement arrêté. La situation clinique peut en effet justifier son renouvellement (antidépresseurs, antibiothérapie…), et c’est au prescripteur d’évaluer le rapport bénéfice/risque, en mettant en œuvre une surveillance adaptée. Le pharmacien peut évidemment se rapprocher du médecin pour appréhender la justification de la prescription. Lorsqu’un produit est déconseillé sans données cliniques à l’appui (décongestionnants nasaux, antihistaminiques sédatifs ou anticholinergiques…), il faut favoriser, si elles existent, les alternatives thérapeutiques.
Plan de minimisation de risque
Par ailleurs, pour un certain nombre de médicaments concernés, les laboratoires pharmaceutiques ont dû mettre en place un plan de minimisation de risques. Cette information fait partie du plan de gestion des risques qui met du matériel d’information à la disposition des professionnels de la santé et des patients. Le plan obligatoire de minimisation des risques de l’isotrétinoïne est une mesure prise pour garantir une utilisation sûre et efficace de ce médicament et doit notamment comprendre un programme de prévention de la grossesse: une compréhension parfaite du risque tératogène par les patients, un test de grossesse sous contrôle médical doit être effectué avant et pendant le traitement, ainsi que 5 semaines après l’arrêt du traitement; l’utilisation d’au moins une méthode de contraception efficace et de préférence deux formes de contraception complémentaires, incluant une méthode de contraception mécanique avant l’initiation du traitement. À la première délivrance de ce traitement, le pharmacien doit rappeler ces recommandations. En raison du risque tératogène de l’acide valproïque, des mesures de précautions strictes font désormais partie d’un programme de prévention de la grossesse, avec entre autres: une évaluation de la possibilité que la patiente tombe enceinte; un test de grossesse avant le début du traitement, et, si indiqué, pendant le traitement; fournir des informations concernant le risque tératogène et la nécessité d’une contraception pendant toute la période de traitement; au moins une fois par an, réévaluation du traitement, en parcourant avec la patiente un risk acknowledgement form. Le programme doit pouvoir permettre aux patientes de comprendre parfaitement le risque tératogène et l’importance de la contraception.
Rétinoïdes à usage topique et grossesse: nouvelle contre-indication
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en France (ANSM) a élargi la contre-indication des rétinoïdes chez la femme enceinte à la voie cutanée. Afin d’harmoniser l’information sur les risques de l’ensemble des rétinoïdes, lorsqu’ils sont administrés par voies cutanée ou orale, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a conduit un travail de réévaluation de leur rapport bénéfice/ risque et a publié ses conclusions en juin 2018. La principale mesure préconisée par cette réévaluation porte sur le risque tératogène associé aux rétinoïdes administrés par voie cutanée. «Bien qu’un passage dans la circulation sanguine des rétinoïdes à travers la peau semble négligeable dans les conditions habituelles de traitement, il ne peut être totalement exclu, rapporte l’ANSM. Ainsi, prenant en compte qu’il n’existe pas de besoin absolu pour un traitement rétinoïde par voie cutanée, il a été décidé de contreindiquer leur utilisation chez la femme enceinte ou planifiant une grossesse. »
Où s’informer ?
Le Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT) est un service d’information sur les risques des médicaments, vaccins, radiations et dépendances, pendant la grossesse et l’allaitement. Le site du CRAT est rédigé pour les professionnels de santé. www.lecrat.fr
Phn Nathalie Evrard
Source: Pharma-Sphère