Ces chiffres indiquent que l’on continue à prescrire beaucoup d’antibiotiques dans notre pays, avec l’amoxicilline au premier rang et l’amoxicilline – acide clavulanique au deuxième rang, soit des antibiotiques à visée respiratoire. L’angine représente la première cause de prescription d’antibiotiques dans les pays industrialisés après l’âge de 4 ans. Avant cet âge, il s’agit surtout d’otites.
Pour bien situer le débat, qu’est-ce qu’une angine? Comment en faire le diagnostic?
Pr David Tuerlinckx: Si on se fie aux principales recommandations sur lesquelles nous nous basons (les recommandations américaines, écossaises, anglaises – NICE –, néerlandaises – NHG – et celles de la BAPCOC dans notre pays), il faut parler de pharyngo-tonsillite aiguë (< 14 jours), dont le diagnostic est clinique. Les signes cardinaux sont la présence d’une température élevée, de douleurs, de difficultés de déglutition, et de ganglions. On recherchera ensuite si les symptômes sont uni- ou bilatéraux, s’il y a présence d’un exsudat (qui est plutôt un indice de présence de streptocoque de type A) et/ou de ganglions cervicaux voire d’adénites. Lors d’un premier épisode, la recherche de streptocoque de type A n’est pas nécessaire car elle ne modifiera pas l’attitude thérapeutique. Par contre, un examen attentif à la recherche de végétations est important afin de réduire le risque de récidive.
Il faudra cependant repérer dès le départ les patients gravement atteints: dysphagie majeure, apport hydrique réduit à < 50% des apports normaux, troubles du sommeil avec notamment présence de pauses respiratoires, asymétrie des amygdales, signe fréquent d’un abcès amygdalien, et/ou torticolis. Ces enfants doivent être référés d’emblée, voire hospitalisés sans retard.
On se basera également sur la durée des symptômes. La persistance d’une grosse température à 72 heures n’a évidemment pas la même signification qu’une température, même élevée, de moins de 24 heures.
Par ailleurs, si la prise en charge peut être différente en cas de récidive, un élément à rechercher par l’anamnèse, on tiendra compte également de l’âge de l’enfant. Avant 2 ans, le streptocoque de type A est exceptionnel et donc la nécessité de recourir à un antibiotique très faible.
Enfin, on recherchera les facteurs de risque: immunodépression, chimiothérapie, cardiopathie à risque…
Que proposez-vous dès lors au cours de cette première consultation?
Pr David Tuerlinckx: En l’absence de facteurs de risque et si l’état général de l’enfant paraît satisfaisant avec une alimentation et une hydratation possibles, on expliquera aux parents que la recherche de streptocoque de type A n’est pas nécessaire car elle ne modifiera pas notre attitude thérapeutique. Il faut savoir par ailleurs que même en cas de positivité, il existe un nombre important de porteurs sains (25-30%). Comme les pharyngo-tonsillites sont majoritairement virales (85% des cas), le traitement sera symptomatique. On donnera des antidouleurs à bonne dose, le plus souvent du paracétamol 15mg/kg 4x/jour, voire de l’ibuprofène (en évitant de le prescrire en cas de signes de déshydratation ou chez l’enfant qui vomit) et on veillera à une hydratation correcte de l’enfant.
Contrairement à ce que l’on pratique dans l’otite, nous ne faisons pas de prescription différée dans l’angine. L’enfant doit être réévalué au cabinet en cas d’évolution péjorative ou d’absence de bénéfice du traitement classique, parce qu’un petit pourcentage évoluera vers des complications dont l’abcès pharyngé ou périamygdalien. Ce n’est pas une erreur de ne pas avoir réalisé de frottis d’emblée, d’abord parce que le traitement antibiotique ne va pas empêcher les complications rares telles qu’une glomérulonéphrite aiguë ou un rhumatisme articulaire aigu. Il n’aura par ailleurs que très peu d’influence sur le risque de complications infectieuses (le NNT est de 200 pour le risque d’otite et de 4.500 environ pour prévenir un abcès amygdalien). Par contre, le traitement antibiotique va améliorer les symptômes au 3e jour en cas d’atteinte bactérienne, et surtout s’il s’agit d’un streptocoque de type A.
Mais nous sommes confrontés beaucoup plus souvent à des récidives qu’à des premiers épisodes…
Pr David Tuerlinckx: En cas d’angine récidivante, la situation est quelque peu différente, et nous aimons alors savoir si du streptocoque est présent ou pas. Notamment parce qu’il s’agit d’une des indications reconnues d’amygdalectomie vers l’âge de 5-6 ans.
L’autre raison est qu’on ne peut ignorer l’existence du syndrome de PFAPA. Ce syndrome décrit originellement par Marshall en 1987, recouvre une fièvre périodique, d’une durée d’environ 5 jours, récidivant toutes les 6 à 8 semaines, et associée à une stomatite aphteuse, une pharyngite et/ou des adénopathies cervicales. Ces fièvres ne cèdent pas sous antibiotiques ni AINS, mais bien en quelques heures sous prednisone 1mg/kg. Elles sont séparées par des intervalles le plus souvent réguliers et totalement asymptomatiques. L’acronyme PFAPA a été proposé pour dénommer ce syndrome (Periodic Fever Aphtous stomatitis Pharyngitis Adenitis) dont l’origine est probablement immunitaire mais dont on ne connaît pas très bien la cause. Ce syndrome débute généralement autour de l’âge d’un an et peut durer jusqu’à l’âge de 8-9 ans et est une belle indication d’amygdalectomie malgré l’absence de streptocoques. Il doit être intégré dans le diagnostic différentiel dès que des angines à répétition sont constatées avec frottis négatif pour le streptocoque de type A.
Une troisième indication d’amygdalectomie est la présence d’apnées obstructives du sommeil, qui se marque souvent par des difficultés scolaires avec chute des résultats par difficultés de concentration ou par une cassure de la courbe de croissance liée aux difficultés d’alimentation.
Enfin, l’abcès amygdalien est une indication majeure d’amygdalectomie à distance.
«Comme les pharyngo-tonsillites sont majoritairement virales, on donnera des antidouleurs à bonne dose, le plus souvent du paracétamol 15mg/kg 4x/jour, voire de l’ibuprofène, et on veillera à une hydratation correcte de l’enfant.»
Interview du Pr David Tuerlinckx
CHU Namur UCL, site de Dinant